Les radis noirs : Terrain vague
"J’écris de chez les moches, pour les moches, les vieilles, les camionneuses, les frigides, les mal baisées, les imbaisables, les hystériques, les tarées, toutes les exclues du grand marché à la bonne meuf". King Kong Théorie, Virginie Despentes
« Ce que t’es timide ! C’est fou ce que t’es réservée ! Tu parles vraiment pas beaucoup ! C’est quand même incroyable, ce grand mystère que tu cultives ! Moi, je me livre, je te raconte plein de choses : mes histoires de cœur, mes coups d’un soir. Et toi tu dis jamais rien. C’est égoïste quand même ! C’est pour ça que je t’appelle, je me fais du souci pour toi ! On n’imagine pas te voir en colère, exploser ! Quand tu t’énerves, tu dois pas traumatiser grand monde, t’as quoi dans les veines ? T’es toute douce, tu parles tout bas, faut te faire répéter tout le temps, tellement ta voix est basse ! Affirme-toi, impose-toi !
Dans le genre coincé, t’es un beau spécimen quand même ! On t’imagine pas dire des gros mots ou alors ça sonne faux. T’es pas naturelle ! Et puis tu cherches pas à séduire, t’as des rapports asexués avec les mecs ! T’as déjà eu un mec d’abord ??? Parce que t’en donnes pas l’impression. C’est la vie quoi sortir avec des mecs. J’ai de la peine pour toi, je te vois toujours toute seule, sans copain.
C’est dingue, ce que tu es renfermée sur toi-même. Tu te lâches parfois ? Ah oui je t’ai vue une fois à une soirée t’étais complètement bourrée ! Ca a surpris tout le monde ! Va voir un psy, ça te fera gagner quinze ans. Ca met à l’aise toute cette souffrance. Et puis tu te compliques les choses tout le temps, tu te poses trop de questions. Fais quelque chose ! T’as décidé de faire quoi pour changer….Ouais !! il est minuit dis donc ! Bonne année !!!! Tous mes vœux , plein de bonheur ! »
J’étais stupéfaite par cette longue litanie interminable. Dans le combiné du téléphone, j’entendais la musique assourdissante qui déchirait mon oreille. Je ne pus articuler qu’un « Bonne année, salut ! » et je raccrochai.
Pourquoi m’avait-elle appelée alors qu’elle était à une fête du nouvel an battant son plein. Pour me narguer sans doute. Moi qui ne faisais rien ce soir-là, j’étais restée seule chez moi en maudissant la terre entière. Elle aussi, je la maudissais !!! Elle a de la chance, je ne m’en prends pas aux femmes. Elle ne sait rien de moi. Elle ne sait pas de quoi je suis capable. Je m’en fiche cependant, elle m’indiffère.
Je hais surtout ces hommes qui viennent vers moi pour se remettre de tempéraments volcaniques. Ma douceur les calme paraît-il, les repose. Après quelques jours passés ensemble, ils veulent toujours me plaquer parce qu’ils meurent d’ennui avec moi, disent-ils. Moi, on ne me quitte pas...S’ils savaient les pauvres que je les terrasse de mon petit caractère insipide. Je les endors après leur avoir servi un verre au gardénal. Je les tue ensuite tranquillement. Je frappe dans le le cœur obstinément de multiples coups du couteau à la lame bien aiguisée. J’aime ce sang qui jaillit abondamment de leur chair endormie. Ce que le corps humain peut contenir d’hémoglobine ! Dire que pendant longtemps, je ne supportais pas la vue du sang. Il me réjouit à présent, ce beau nectar rouge qui scintille sur le carrelage froid. J’aime tellement fouiller chaque recoin leur corps endolori. Je mets en scène mon parfait petit film d’horreur.
Cependant après le plaisir, vient toujours avec violence le dégoût qui me submerge. J’éprouve toujours de l’effroi pour l’acte que je viens de commettre, après m’être repue de la vue de leur sang. Je me dégoûte terriblement, prête à retourner l’arme contre moi. Ca ne dure pas, il ne faut pas trop traîner.
Il faut ensuite faire un peu de menage, nettoyer mon forfait et se débarrasser du corps, la barbe. Heureusement, c’est facile. J’ai un accès direct à mon garage depuis ma maison. Il me suffit de placer le corps dans le coffre de ma twingo. Je vais ensuite dans un terrain vague, véritable cimetière de mes amours malheureuses pour enterrer la dépouille. C’est simple comme un jeu d’enfant. Sur la chemin du retour, me vient toujours à l'esprit ce vieil adage : « Il faut se méfier de l’eau qui dort »....
Monsieur - Thomas Fersen