Tais toi, ça déborde !
(oeuvre picturale de l'artiste Seth, Bevédère du Parc de Belleville, Paris 20e)
Quelle est donc cette société où l’on nous dit qu’il faut gérer ses émotions comme on gérerait des placements financiers ! lI faut les maîtriser, les plier en quatre, les ranger bien soigneusement dans une boîte à petits secrets honteux. Des formations nous apprennent même à savoir les contrôler. Il faut étouffer ces expressions de notre humanité, ces émotions qui nous constituent, qui forment notre personnalité. Il faut les détruire avant même qu’elles ne sortent . Comment penser ainsi, anéantir ce qui fait partie de nous. « Oui mais tu vois, dans un projet ambitieux qu’il faut mener à son terme, faut garder la tête froide » . Il faut les ignorer, ne pas les écouter, alors qu’au contraire, elles ont leur mot à dire, elles sont signifiantes, elles sont l’alliance du langage du corps et de l’esprit. Elles renseignent sur une situation vécue, elles sont la plus pure expression de nos pensées profondes quand le discours ne peut plus rien, elle prennent le relai pour alerter, pour relayer. Prendre le temps de s’asseoir, de tout arrêter, d'exprimer ce qui nous paraît intolérable. J’entends bien que pour les décideurs, elles remettent en question tout un processus d’aliénation, d’asservissement. Nous vivons dans un monde où l’on doit s’exécuter sans bruit, sans broncher, sans cri, sans heurts, sans esprit critique alors que ce sont les oppresseurs qui provoquent ces conflits, qui les font déborder ces émotions quand cette humanité n’est plus entendue, plus reconnue. Quel paradoxe terrible et détestable !
Bien sûr tout sacrifier pour mener à bien un projet sexy et rentable, se ranger à l’absurde, même pas, la logique est là, ce n’est pas pour autant qu’on y adhère ! Tout sacrifier aux chiffres du CAC 40, ne plus s’émouvoir, être une machine à penser rentabilité, un rouleau compresseur d’objectifs désincarnés, écraser comme des crêpes ceux qui doivent appliquer ces consignes sans riposter, corvéables à merci. Heureusement, il y a Elise Lucet remarque, « Elise, tu veux bien parler de mon cas dans Cash investigation », je me moque, mais ça a le mérite d’exister.
Pourtant, nous sommes dans une société du sensationnalisme où l’émotionnel est savamment orchestré et mis en scène dans les journaux télévisés, dans les émissions, les talks chauds bouilants. Le chantage à l’émotion prend le pas sur le sens et la réflexion. L’émotion, oui à condition, qu’elle soit taillée sur mesure et brandie pour servir des intérêts médiatiques.
Mais l’émotion, la vraie, celle que l’on ne contrôle pas par essence, qui jaillit du plus profond de nous mêmes ou de nulle part, qui explose, qui est nôtre, personne n’en veut !
Oui, mes émotions bouillonnent en moi, personne émotive que je suis, elles débordent de partout. Incontrôlables, elles dansent, elles crient, elles rient, elles pleurent, elles forment une farandole infernale autour de moi, elle jaillissent comme des jeysers, elles exécutent une furieuse sarabande, elles débordent, elles sont bruyantes, elles contrarient, elles rugissent du bruit de la fureur du monde. Elles s'emballent, elles jurent, nom de dieu, de bordel à cul de pipe en bois ! Elles se déversent comme des cascades salutaires, elles irradient, elles rayonnent comme des soleils levants. Elles nous allègent de nos poids nombreux. Je ne les renie pas, je ne les renie plus, celles dont j’ai eu honte si souvent ! Je les laisse vivre en moi, je ne peux pas faire autrement. Je vais continuer à faire ma tragédienne lyrique, ça peut être pénible, c’est vrai…
Cette célèbre phrase de Jean Cocteau, (auteur qui ne m’a jamais vraiment convaincu et j'espère qu'elle est de lui ) : « Ce que l’on te reproche, cultive le , c'est toi », peut paraître fumeuse. En ces temps conformistes et péremptoires, elle me paraît un bel acte de résistance, ne pas étouffer son originalité , reconnaître sa vulnérabilité et son humanité.