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L'imaginarium de Myrtille Taff
2 août 2021

Le Bourgeois gentilhomme de Molière / Valérie Lesort et Christian Hecq

 

Bourgeois gentilhomme de Molière, Comédie-Française

 Avertissement : un peu de spoilage par ci par là.

Je trépignais d’impatience à la lecture des nombreuses critiques élogieuses du spectacle, « Le bourgeois gentilhomme » de Molière, mis en scène par Christian Hecq et Valérie Lesort, représenté à la Comédie-Française du 18 juin au 25 juillet 2021. Tout le monde s'enthousisasmait et je voulais être de la fête, d'autant que Christian Hecq interprétait le rôle titre. J'ai bondi sur mon ordinateur pour acheter des billets, le jour de la mise en vente de nouvelles places. J’y suis allée le 25 juillet, le jour de la dernière.

 

Programme : Le Bourgeois gentilhomme de Molère, mise en scène de Christian Hecq et Valérie Lesort

 

Je connaissais peu le travail commun de Christian Hecq et de Valérie Lesort. J’avais vu la captation du fameux spectacle, « 20 000 mille lieux sous les mers », d’après le roman de Jules Verne, peuplé de curieuses créatures marines, qui m’avait enchantée. Tous les deux ont aussi monté divers opéras, ainsi qu’une adaptation de la « Mouche » inspirée librement de la nouvelle de George Langelaan. Je connaissais surtout Christian Hecq en tant que comédien. Je l’avais découvert lui et son jeu plein d’humour et de contorsions clownesques dans "Le Boulevard du boulevard du boulevard" de Daniel Mesguich en 2006 (autre spectacle truffé d’inventions visuelles). Je l’avais ensuite perdu de vue puis retrouvé  dans des captations de vaudevilles diffusées sur France 5 et sur la chaîne de la Comédie-Française pendant les confinements. Je m’égare mais le vaudeville " Un chapeau de paille d’Italie " de Labiche dans la mise en scène de Giorgio Barberio est un grand moment de comédie.

 

Salle Richelieu, Comedie-Française

 

Pour en revenir à l'oeuvre, « Le Bourgeois gentilhomme », je suis sortie du théâtre en m’exclamant, « Ce spectacle est fou !!! ».  Les deux artitstes nous en mettent plein les yeux avec un enthousiasme communicatif. L’inventivité débridée et la magie éblouissante de la mise en scène vous emportent dans un univers à l’imaginaire flamboyant aux milles trouvailles visuelles (J’avais éprouvé la même jubilation avec la pièce , « La nuit de Madame Lucienne » de Copi mise en scène par Thomas Jolly, en septembre 2020). J’ai assisté à une fête folle et drôle, rythmée par une musique des Balkans endiablée. Toutefois, quand j’ai appris que Valérie Lesort et Christian Hecq montaient la pièce, j'ai d'abord été dubitative. Le thème de la pièce ne m’intéressait pas vraiment : Monsieur Jourdain, l’archétype du bourgeois en quête d’ascension sociale, voulant se hisser au rang de la noblesse. Cette comédie-ballet commandée à Molière et au musicien Lully représentée en 1670, lors d'une fête royale à Chambord, avec sa musique de cour, ses danses et autres menuets, m’ennuyait quelque peu. Pourquoi encore voir un Molière en 2021 ?

J’avais vu d’autres mises en scène de la pièce mais qui ne m’avaient pas laissé des souvenirs impérissables même si elles étaient de qualité. Comme pour beaucoup de gens, cette pièce était liée à des souvenirs d’enfance. Quand j’avais neuf ans mes parents, m’avaient emmenée voir la pièce avec Jean Le Poulain, mise en scène par Jean-Laurent Cochet donnée à la Comédie Française en 1980. Je ne crois pas avoir apprécié le cabotinage agité et énervé de Jean Le Poulain. Cependant, je réalise que c’était la première fois que j’allais à la Comédie-Française et ce n’est pas rien tout de même d’avoir vu sur scène ce comédien réputé. Toujours à la Comédie-Française, j'ai ensuite vu deux autres mises en scène avec Roland Bertin et Michel Robin aux interprétations lunaires dans le rôle titre.

Il fallait vraiment que Christian Hecq et Valérie Lesort donnent un grand coup balais dans cette fourmillière. Il fallait rafraichir et renouveler la vision de cette pièce sans pour autant la dénaturer. Cette comédie ballet s'est révélée un formidable terrain de jeu pour les deux metteurs en scène qui peuvaient laisser libre cours à leur imagination avec cette galerie de personnages haute en couleurs, toutes ces scènes musicales et dansées. Ainsi, les partitions de Lully ont été réarrangées façon musique des Balkans. Christian Hecq et Valérie Lesort ont transposé la pièce dans l'univers stylisé et décalé d'un conte de fée inquiétant et merveilleux à la fois (enfin à mes yeux). Toutefois, décors et costumes évoquent tout de même l’esprit du 17ème siècle et l’époque de Molière. Le texte de l’auteur résiste bien à toutes sortes de mise en scène. Les deux metteurs en scène ont rendu justice à cette pièce en restituant tout son merveilleux et sa démesure. Les excès du protagoniste (pourtant blamés par le classicisme rigoureux du 17ème siècle) ont été réhabilités par les metteurs en scènes. Tous deux ont une grande tendresse pour le personnage. lls nous ont convié à une grande réception aux milles trouvailles visuelles. Le  jeu des comédiens est vif et enlevé. La scénographie est merveilleuse. Les décors conçus par Eric Ruf, d'abord sombres, s’illuminent ensuite de mille feux. Christian Hecq nous impressionne par son interprétation irrésistible d’un Jourdain au jeu mobile et clownesques. Ces personnages truculents, ces tréteaux avec marionnettes, cette fanfare folle des Balkans nous réjouissent au plus haut point.

Penchons-nous de plus près sur la pièce. Monsieur Jourdain, riche bourgeois de condition, souhaite s’élever au rang de gentilhomme. Pour cela, il apprend les armes, la musique, la danse et la philosophie, qualités d’apparat du noble selon lui. Cette mise en scène va crescendo dans les découvertes et les trouvailles visuelles souvent hilarantes. Nous allons de surprise en surprise. Une scénographie sombre. Des personnages habillés de noir constituent l’univers de Monsieur Jourdain : ses proches et les maîtres. Il est vrai que les metteurs en scène souhaitaient un décor sombre à la manière d’un théâtre noir de marionnettes pour dissimuler les manipulateurs de marionnettes. On peut s’étonner de ce parti pris fort. Tous ces personnages très typés paraissent inquiétants. Jourdain vit dans un univers austère. Lui, rêve de magie et d’enchantement afin de s'échapper de de cette atmosphère morne. Il est vrai aussi que les metteurs en scène et surtout Valérie Lesort aiment s’inspirer d'oeuvres d'épouvante.

Dans la première partie de la pièce, on assiste au défilé des maîtres, de musique, de danse, d’armes, de philosophie, maître tailleur qui dispensent leur diverses leçons à un Jourdain candide admiratif. Véritable morceau de bravoure et d'anthologie. Le ton burlesque et décalé déclenche fous rires sur fous rires. Des marionnettes surgissent lors de passages musicaux et chantés orchestrés par la maître de musique. J'ai été impressionnée par l'effrayant maître de philosophie interprété par Guillaume Gallienne. Chauve, les ongles longs, il évoque une sorte de Nosferatus aux drôles de mimiques. Ce personnage sombre contraste avec la naïveté enfantine de Monsieur Jourdain, vêtu d'une sorte de grenouillère. La scène du maître tailleur prend des allures de défilé de mode commenté par une sorte de Karl Lagerfeld au son d’une musique techno, d’inspiration balkanique. Jourdain défile en costume doré afin de ressembler à un noble. Nous sommes également aussi amusés et fascinés par les tours de magie de l’ombrageux maître d’armes. J’ai ressenti une grande tendresse de la part des metteurs en scène pour cet épisode des maîtres et d'apprentissage de Monsieur Jourdain.

 

Saluts pour le bourgeois gentilhomme, mes Christian Hecq et Valérie Lesort

 

En revanche, Christian Hecq et Valérie Lesort sont plus critiques envers les proches du bourgeois. Sa famille m’a semblé vraiment inquiétante. Pourtant Véronique Vella interprète une généreuse Nicole et Laurent Stocker un enjoué Covielle. Les metteurs en scène le voient étonnemment comme un manipulateur pervers. Les jeunes amoureux sont attachants et drôles. Toutefois, avec leur accoutrement sombre, les membres de ce foyer rappellent ceux de la  famille Adams comme il a déjà été dit dans d’autres articles. Pour les metteurs en scène, ils apparaissent comme des fâcheux (chez Molière, personnages pénibles contrariant toute progression de l’action) qui empêchent de vivre notre pauvre Monsieur Jourdain. Madame Jourdain est le personnage le plus inquiétant de la pièce avec sa coiffe noire évoquant les marâtres et les reines maléfiques de conte de fée. Je suis réservée concernant la vision de ce personnage faisant deux fois la taille de son mari. Je trouve difficile de rendre antipathique cette femme généreuse, soucieuse de l’harmonie de son foyer. Elle souhaite le bonheur de sa fille, s’inquiète des dépenses folles de son mari, comment lui en vouloir ? Elle est une épouse délaissée. Monsieur Jourdain s’est entiché de Dorimène, une jeune aristocrate méprisante. Le bourgeois peut se montrer irascible, tyrannique avec ses proches et ses domestiques. Il est égoïste, veut marier sa fille contre son gré à un noble. Certes, ses proches se moquent sans vergogne des rêves de grandeur de Monsieur Jourdain et de son costume doré mais ils sont vus comme autant de rabat-joies contrariant les ambitions de ce pauvre bourgeois.

 

décor du Bourgeois gentilhomme de Molière

 

La 2ème partie correspond à la visite des nobles. La pièce est structurée par le changement de décor. Le décors sombres se transforment en un intérieur doré et étincelant. Nous montons encore d’un cran dans le merveilleux. J’avoue, je trouve la métamorphose de cette scénogaphie vraiment efficace. Ce décor qui s’illumine est une merveille et nous en met plein les yeux. Il représente l’éblouissement que ressent  Monsieur Jourdain pour les aristocrates, Dorante et Dorimène dont il s’est épris. Tous deux sont vêtus de costumes dorés. La robe de Dorimène, confectionnée par la talentueuse costumière Vannessa Sannino est une splendeur tout droit sortie d'un conte de fée ! Toutefois, Dorante et Dorimènes sont deux crapules voulant profiter de la fortune de Monsieur Jourdain. Ce mépris de classe reste toujours cinglant à mes yeux. La scène du banquet est vraiment le point d’orgue de cette seconde partie. Ces plats servis en grande pompe et qui prennent vie,  grâce à l'art de la marionnettes ont provoqué chez moi un fou rire mémorable. Valérie Lesort et sa passion pour le Muppet Show éclate ici au grand jour !!!

La dernière partie : la pièce s’achève en apothéose avec l’épisode de la "Turquerie". Il me semble pertinent d’en rappeler la définition. La turquerie est une mode orientaliste populaire dans l’Occident  du XVIe au XVIIIe siècles, qui imitait des aspects culturels turcs : en particulier dans la musique, l’architecture, les autres beaux-arts, et la mode. Cette turquerie est aussi une commande du roi Louis XIV à Molière, suite à un différend avec le sultan du puissant empire ottoman. Pour faire court, lors d’une fête, le roi reçoit en grande pompe l’ambassadeur de Turquie. Celui-ci s’est moqué de l’habit d'apparat du roi, en disant que le cheval de son maître était mieux vêtu que lui, pour les grandes occasions. Piqué à vif dans son amour propre, le roi a chargé Molière de rendre la monnaie de sa pièce au grand Turc....(susceptibilité du roi donc)

Covielle fait croire à Monsieur Jourdain que le grand Turc, en réalité, Cléonte, le jeune amoureux, veut se marier avec sa fille et qu’il sera élevé au rang de « grand mamamouchi ». Cette supercherie donne lieu à un spectacle incroyable. La famille récupère tous les objets à leur disposition pour préparer une cérémonie majestueuse. En effet, les metteurs en scène s’étonnaient que les personnages puissent trouver de riches étoffes et accessoires en peu de temps. La fête débute par l’entrée d’un éléphant impressionnant reconstitué de toutes pièces, échappé tout droit des spectacles de la compagnie de théâtre de rue,  "Royal de luxe". La famille de Monsieur Jourdain exécute une folle sarabande au son de la musique entrainante des Balkans, affublée de drôles de déguisement faits de fruits et légumes, d’abat-jours en guise de coiffe. Monsieur Jourdain, une brosse à récurer à la main et un urinoir sur la tête, se trémousse, entouré de musiciens, pris par le démon de la danse, encouragé par le public battant des mains en rythme. Un moment de grâce collectif, une fête, un vrai concert avec Monsieur Jourdain en rock star !!!

La pièce se clôt pourtant par la chute de Monsieur Jourdain, pauvre marionnette et jouet de son entourage qui se gausse de sa crédulité.

 

Saluts pour le bourgeois gentilhomme, mes Christian Hecq et Valérie Lesort

 

Malgré la disgrâce de Monsieur Jourdain, j’étais en joie, des étoiles plein les yeux, le cœur en fête à la fin du spectacle ! Je suis pleine de reconnaissance pour ces artistes qui donnent du bonheur aux gens ! La vie reprend grâce à eux, en dépit de cette période de pandémie si difficile. Le public ne s’y est pas trompé. Les spectateurs s'étaient levés pour applaudir les comédiens à tout rompre. J’en ai peut-être trop dit sur ce spectacle ou pas assez ! J’en ai parlé sûrement maladroitement ! Toutefois, j’avais besoin de parler de ce spectacle miraculeux, de ce festin pour les yeux et les oreilles !

Je ne me remets pas de cette fête, je suis encore dans la salle de Richelieu à rire, à m’émerveiller et à applaudir !

Le spectacle est repris du 7 mai au 21 juillet 2022.

 

Danseurs de tango, place Colette

Le spectacle était déjà dans la rue, place Colette avec les danseurs de trango du dimanche. Dans la file d'attente dehors, en prime Eric Ruf accueillait et salutait les spectacteurs.

 

INFORMATIONS UTILES  :

Prorgramme de la pièce avec la distribution de la pièce : ICI
Présentation de la pièce :  ICI et ICI
Interview des metteurs en scène :  ICI

Quelques informations sur les metteurs en scène :
Valérie Lesort :  ICI
Christian Hecq :  ICI

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